Le travail de Stéphane Mouflette est la conséquence de sa façon d’être au monde, sensible et décalé. Ses productions d’aujourd’hui sont le résultat d’un travail ininterrompu et initié depuis l’enfance. Sa démarche, intuitive, et humoristique repose sur une critique de son environnement matériel. Il emploie et combine différentes techniques de fabrication, pour produire des objets au statut ambigu : sculpture, élément fonctionnel, objet-machine, maquette, outil de contemplation, jeu… Ou tout à la fois.
En cela la production de Stéphane Mouflette s’inscrit dans une démarche similaire à celle de l’art brut qui valorise une production artistique naïve, qui se voudrait exempte de références culturelles. « De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. » (Jean Dubuffet, L’art brut préféré aux arts culturels, 1949)
Les constructions audacieuses de Stéphane Mouflette évoquent ce monde de l’enfance, celui des jeux de construction où il fallait patiemment assembler des pièces en kits pour que se dévoile le projet final - animaux extraordinaires; habitations improbables ; moyens de locomotion d’un autre temps, passés ou futurs. C’est le cas d’œuvres comme Garniture ou encore Désordre Ancien.
Ses propositions d’objets répondent au besoin de rêver.
L’univers onirique de Stéphane Mouflette bascule le regardeur dans une dimension intemporelle. Il prend plaisir à déambuler dans ces architectures miniatures, son oeil s’y promène dans l’espoir de percer le mystère de leur assemblage, il se laisse transporter dans un autre univers, celui très personnel du rêve, de l’imaginaire. Ses objets-fétiches sont des espaces de projection mentale, ouverts à l’interprétation intime de chacun. En cela, son travail est une pratique vitale, une « nécessité intérieure » (Kandinsky), et le moyen par lequel il communique avec le monde extérieur. Ses recherches répondent à des préoccupations intimes qui s’étendent à l’universel.
Son besoin de créer est aussi un acte de résistance, Stéphane Mouflette évacue la question du beau dans sa production et préfère remettre en question les hiérarchies de toutes sortes, en jouant sur d’apparentes oppositions : du noble à l’ignoble, du précieux au bon marché, du microscopique au macroscopique.
Pour lui la préciosité de l’Or ou la qualité bon marché du plastique pour créer, inventer, revient au même, il n’a pas d’apriori sur la matière. Quelle qu’elle soit elle reste constituée de protons, de neutrons d’électrons. En témoigne la série « Big Love » présentée par la galerie Armel Soyer en 2018.
Plus qu’un parti pris esthétique, la collection « Big Love » s’inspire de l’architecture atomique des matériaux et se jouent malicieusement des jeux d’échelle, brouillant les limites du rationnel, du visible et de l’invisible. La matière semble muter et les atomes se diviser inlassablement dans une répétition perpétuelle et rythmique qui tourne à l’obsession optique. Les cellules se multiplient à l’infini, transformant ce qui n’était que le détail microscopique le plus invisible en sujet plastique principal.
La pratique de Stéphane Mouflette est résolument contemporaine et peut être rapprochée de designers comme Studio Job , Misha Kahn ou encore Marteen de Ceulaer.
Bien que Stéphane Mouflette se rapproche par sa pratique ludique et enfantine, de l’art brut, son œuvre repose sur un discours solide de références culturelles. Il propose une relecture critique et une interprétation loufoque de l’histoire de l’art dont des œuvres comme celles de la série La chute des cours ou encore la Servante à roulettestémoignent. À la fois pro et anti design, ses créations sèment le doute quant à leur « utilité » et ironisent sur l’idée d’un « progrès technique » dans une société régie par l’innovation. Elles sont hyper fonctionnelles, empruntent le vocabulaire formel du monde de la tech’ mais semblent ne répondre à aucun besoin essentiel. Son fil rouge admet une sorte de régression à l’inverse des préoccupations du Designer pour qui la question de l’usage est centrale.
En créant ces objets « hyper-fonctionnels » à la manière de couteaux-suisse, Stéphane Mouflette fait écho à une utopie du design qui tend à vouloir combler tousles besoins de l’usager dans ce qu’on pourrait qualifier une débauche de la fonction. Dans le même temps, il questionne le principe du modernisme « la forme suit la fonction » (Louis Sullivan) qui bannit tout principe d’ornementation au profit d’une pureté de la fonction.
Son travail met en tension ces deux aspects : besoin de répondre à un usage et ornementation dans un but de réconciliation, de cohabitation.
Cette critique se retrouve dans sa manière de faire, qui mélange nouveaux outils numériques et savoir-faire traditionnel. Techno-positif, il s’inscrit dans la mouvance utopique des « makers »* littéralement la culture des faiseurs. Sous-culture qui promeut le principe de l’auto-production contre la grande batterie de l’industrie de masse, les makers pratiquent le hack, soit le détournement créatif de l’utilisation habituelle d’un objet. Une fois de plus dans l’acte même de création, Stéphane Mouflette revendique l’absence de hiérarchie dans les pratiques. C’est un artisan de haut vol et sans limite : il sculpte, il scie, il coud, il forge, il imprime, conçoit des modèles numériques. Il produit tout ce qu’il imagine, tout ce qu’il veut pour lui et dans ce sens, qualifie ses productions comme des caprices. La culture maker constitue une période de rêve pour les créateurs : tout est possible, tout est réalisable, notamment par l’utilisation de l’imprimante 3D, outil privilégié de Stéphane Mouflette.
Titulaire d’un brevet des métiers d’art en ébénisterie et d’une formation aux arts plastiques à la Sorbonne, Stéphane Mouflette incarne la figure du designer-créateur. Il fait figure d’électron libre sur la scène du design actuelle.
« La vie est un théâtre qui a besoin d’un décor, et c’est ce que je m’efforce de faire, lui construire un décor. » Stéphane Mouflette